QUELQUES DISPENSES DE PROHIBITION DE MARIAGE (Gros-Chastang 1857, La Roche-Canillac 1858)

 

 

Lors de mes dépouillements systématiques des naissances, mariages et décès du canton de La Roche-canillac en Corrèze (19), j'ai découvert deux bien étranges affaires de mariage imbriquées l'une dans l'autre. C'est un peu compliqué alors accrochez-vous bien aux branches ...

 

1. Histoire n°1 : le mariage entre Louis POUZOL et Mariette AUSSOLEIL (La Roche-Canillac, 1859)

Voici la première famille en question :

 

Pour résumer, François AUSSOLEIL (1779-1862) se marie deux fois. De son premier mariage avec Jeanne CHIRAC nait, entre autres enfants, Jeanne AUSSOLEIL, en 1812. De son second mariage avec Marie NOUGEIN nait en 1842, AUSSOLEIL Toinette dite souvent Mariette ou Marie Antoinette. Nous l'appelerons Mariette, prénom qui lui est systématiquement attribué à la naissance de ses enfants.

Jeanne AUSSOLEIL née en 1812 épouse Jean POUZOL en 1827. Ils ont trois filles, Virginie Françoise née en 1829, Jeanne née en 1834 et Jeanne née en 1837 et un fils POUZOL Louis, né en 1831. C'est ce dernier qui va nous intéresser dans cette première histoire.

Ce fils, Louis POUZOL, épouse sa tante, Mariette AUSSOLEIL, le 4 mars 1859 à La Roche-Canillac. Il a 27 ans, elle a 16 ans. Fait plutôt rare, la tante est plus jeune que son neveu. Il faut mentionner, pour expliquer cela, que Jeanne AUSSOLEIL née en 1812, la mère de Louis POUZOL, s'est également mariée très jeune, à l'âge de 15 ans.

Acte de mariage du mariage célébré le 4 mars 1859 à La Roche-Canillac entre Louis POUZOL et Toinette dite Mariette AUSSOLEIL

L'acte note que les futurs époux sont "dans l'intention de s'unir en mariage avec les dispenses d'alliance accordées par sa majesté l'Empereur le 31/08/1848 enregistrées au Greffe du Tribunal de Première Instance de Tulle et dont ils nous ont présenté une expédition délivrée par le greffier du Tribunal". La fin de l'acte nous précise que "l'intention de mariage" est concrétisée par la célébration dudit mariage.

Précision : les deux époux savent signer; il ne s'agit donc pas d'une famille particulièrement "inculte".

J'ai tout de suite songé que la date de la dispense d'alliance était fausse et qu'il fallait lire 1858 au lieu de 1848, l'officier d'état-civil ayant pu commettre une erreur de transcription. L'acte précise bien que la dispense d'alliance est délivrée par l'Empereur. Napoléon III était le Premier Président de la République française de 1848 à 1851 (élu le 10/12/1848 - prestation de serment le 20/12/1848) et Empereur des Français seulement du 02/12/1852 à septembre 1870. Il n'est donc matériellement pas possible que la dispense de parenté date du 31/08/1848; elle doit être du 31/08/1858 !!!

J'avais bien pensé également que notre jeune tante de 16 ans trouvait fort à son goût son charmant neveu de 28 ans et avait commencé à fréquenter de façon trop visible ce jeune homme, au point que la famille s'en soit mélée et ai provoqué le mariage. Ceci aurait pu s'expliquer par exemple par une grossesse précoce. Mais le premier enfant du couple formé par Louis POUZOL et Mariette AUSSOLEIL ne naîtra qu'en 1861, soit deux ans après leur mariage. A moins d'une grossesse s'étant achevée par une fausse couche bien entendu... Ce serait l'hypothèse la plus probable.

Si l'on étudie la descendance du père François AUSSOLEIL, on s'aperçoit qu'il a eu 5 filles de son premier mariage et un fils (dont on ne sait pas du tout ce qu'il devient : non marié et non décédé dans le canton). Françoise AUSSOLEIL, sa fille aînée meurt en bas âge en 1802. Sa seconde fille meurt à l'âge de 16 ans en 1820. Sa troisième fille meurt en bas âge en 1810. Sa quatrième fille est notre Jeanne AUSSOLEIL, mère de Louis POUZOL. Sa cinquième fille se marie à l'âge de 18 ans et décède à 21 ans.

Qui reste-t-il en vie en 1858, au moment de la dispense d'alliance, dans cette famille ?

Le père François AUSSOLEIL et sa seconde épouse Marie NOUGEIN.

Notre Jeanne AUSSOLEIL née en 1812, mariée depuis 1827 et qui a un fils, Louis POUZOL, né en 1831 et donc âgé de 27 ans.

Sa demi-soeur Mariette AUSSOLEIL, née en 1842 et seulement âgée de 16 ans.

Son demi-frère Jean Baptiste AUSSOLEIL né en 1845 et âgé de 13 ans. Nous ne savons pas ce qu'il devient, apparemment ni marié ni décédé dans le canton.

Il conviendrait d'étudier le patrimoine foncier de cette famille. Le mariage entre membres d'une même famille a peut-être eu pour objectif de conserver un patrimoine foncier que le père ne voulait pas voir morceler ou atterrir dans les biens d'une autre famille.

L'article suivant relatif aux dispenses d'alliance nous précise que seuls les cas vraiment sérieux recevaient une issue favorable.
L'article 164 du code civil stipule que le Président de la République "peut lever, pour des causes graves, les prohibitions portées par l'article 161 aux mariages entre les alliés en ligne directe lorsque la personne qui a créé l'alliance est décédée, par l'article 162 aux mariages entre beaux-frères et belles-sœurs (abrogé par la loi n° 75-617 du 11 juillet 1975), par l'article 163 aux mariages entre l'oncle et la nièce, la tante et le neveu". (...) Il existe aussi des dispenses d'âge pour les filles de moins de quinze ans révolus et pour les garçons de moins de dix-huit ans révolus parmi les dossiers de la Chancellerie. (...)

Autrefois, les dispenses, accordées par le chef de l'Etat contre paiement d'un droit de Sceau, nécessitaient la formation d'un dossier envoyé par le maire au parquet. Il était transmis ensuite à la Chancellerie -via le parquet de la cour d'appel- avec un rapport du procureur. (...) Sont fournies les preuves justifiant le mariage (causes graves pour les dispenses d'alliance et de parenté (...). L'instruction terminée, la Chancellerie rédige un rapport au Président de la République et émet des propositions pour accord ou pour rejet. La décision prise, la Chancellerie en assure la notification auprès des intéressés. (...)

Les dossiers de dispenses pour mariage, naturalisations et changements de noms forment une série unique (...) : série B jusqu'en 1832, série X jusqu'en 1945. (...) Contenu des dossiers : requête des intéressés, actes d'état civil, documents prouvant l'existence d'une cause grave (concubinage ancien pour les dispenses d'alliance et de parenté, naissance d'un enfant et circonstances particulières du décès du futur conjoint pour les mariages posthumes), preuve de la publication des bans (mariage posthume), enquête du tribunal de grande instance, rapport du commissariat de police. Les dossiers anciens contiennent également les documents suivants : extrait du rôle des contributions ou certificats d'indigence, certificat du maire portant sur la situation de fortune, actes de notoriété pour la rectification des erreurs d'orthographe des noms et prénoms des parties, autorisation de l'autorité militaire.
(Source : Guide des archives judiciaires et pénitentiaires, 1800-1958, Jean-Claude Farcy, CNRS éditions, 1992 -
Reproduit par : http://www.gip-recherche-justice.fr/ressources/archives/mariage.htm )

Nota : la série X concerne surtout les hôpitaux et oeuvres sociales et de bienfaisance, il conviendra plutôt de rechercher les dispenses d'alliance et de parenté en série G ou B.

 

Dans notre cas, il n'est pas question de dispense de parenté mais de dispense d'alliance ce qui est déjà très étrange car nous avons affaire à une tante mineure qui épouse son neveu et non à un lien d'ascendance directe entre les protagonistes. Il devrait donc plutôt s'agir d'une dispense de parenté que d'une dispense d'alliance.

En 1858, la personne qui a créé l'alliance entre la tante et son neveu n'est pas décédée puisqu'il s'agit de François AUSSOLEIL, lui-même. Ceci supprime donc la possibilité d'une dispense d'alliance et confirme plutôt la dispense de parenté.

Je suis bien entendu à la recherche des trois documents suivants qui pourraient nous informer sur la nature des "circonstances graves" ayant abouti dès 1858 à l'acceptation par l'Empereur Napoléon III de la dispense d'alliance entre POUZOL Louis et AUSSOLEIL Mariette (Toinette, Marie Antoinette) :

La Dispense d'alliance civile du 31 août 1858 délivré par l'Empereur Napoléon III. Elle doit se trouver aux Archives départementales de Corrèze (19) en série ? (série B ?). http://www.cg19.fr/temp/doc_fr_716.pdf

La dispense de parenté religieuse délivrée par l'Evèque dont dépendait la paroisse de la Roche-canillac en 1858. Elle doit se trouver certainement en Série G aux Archives départementales de Tulle (19).

Le contrat de mariage signé lors du mariage soit le 04 mars 1859, soit quelques jours avant, chez Me Jacques Joseph Jules BERONIE, notaire à Saint-Martin-la-Méanne, commune voisine (alors qu'il y avait un notaire à La Roche-Canillac...). Les archives notariales de Me BERONIE pour l'année 1859 sont sous la cote 11.113 aux AD de Tulle. http://www.cg19.fr/temp/doc_fr_704.pdf

 

Quelles sont finalement les raisons d'une demande de dispense de parenté ?

Les raisons ordinaires pour solliciter une dispense de parenté, sont:

1. lorsqu'une fille est pauvre et qu'elle ne peut trouver à se marier sans dot, et qu'un de ses parents consent à l'épouser et à la doter;

2. lorsqu'une fille est parvenue à un âge avancé, comme celui de vingt-quatre ou vingt-cinq ans, sans avoir trouvé de parti convenable pour se marier selon sa condition;

3. lorsqu'un mariage entre parents doit empêcher ou terminer des procès ou des divisions scandaleuses entre deux familles;

4. lorsqu'une veuve est chargée d'enfants qu'elle ne peut soutenir, parce qu'elle est incapable de faire valoir son bien, et qu'un parent consent à l'épouser pour la tirer d'embarras et lui aider à élever sa famille;

5. lorsqu'un père ayant un grand nombre de filles, se trouve hors d'état de les doter pour les marier à d'autres qu'à quelques-uns de ses parents;

6. le danger que court, pour ses moeurs, une jeune fille orpheline ou obligée d'aller en service, et qui trouve à se marier avec un de ses parents en état de l'établir convenablement;

7. la position d'une fille maladive ou disgraciée du côté de la nature, ou infirme, qui trouve à se marier avec un de ses parents, capable de la faire vivre.

(Source : http://www.genealogie.org/famille/leblond/bulletin2.html#art5-2 d'après Alexis Mailloux, Manuel des parents chrétiens, p.215)

 

Cas n°1 : possible. Mais la pauvreté n'explique peut-être pas tout ici car la future mariée savait signer et signait même d'une belle écriture ce qui laisse présager une certaine éducation...
Cas n°2 : hors-sujet ici, la future épouse n'ayant que 16 ans lors de son mariage.
Cas n°3 : possible. Il conviendrait d'étudier les possibles procès et dissensions familiales.
Cas n°4 : hors-sujet. La jeune mariée n'a pas encore d'enfants.
Cas n°5 : possible mais en 1858 il ne reste plus beaucoup de filles encore en vie à notre François AUSSOLEIL !
Cas n°6 : hors-sujet, la jeune fille n'était orpheline que de mère, son père François AUSSOLEIL était toujours en vie.
Cas n°7 : possible. Mariette dite Toinette AUSSOLEIL décède à l'âge de 24 ans. Une de ses soeurs est morte à 16 ans et une autre à 21 ans ! ses autres soeurs meurrent en bas âge.

 

2. Histoire imbriquée n°2 : le remariage de Jacques MURAT avec Jeanne POUZOL (Gros-Chastang, 1857)

Voici la seconde famille, liée à la première :

 

En résumé, nous avons vu précédemment que Jean POUZOL et Jeanne AUSSOLEIL s'étaient mariés le 22 avril 1827 à Gros-Chastang et qu'ils ont eu 4 enfants (dont Louis POUZOL, histoire n°1) nés dans le village du Couffignier commune de Gros-Chastang entre 1829 et 1837.

Leur fille aînée Françoise dite Virginie POUZOL nait le 12 mai 1829. Elle épouse Jacques MURAT (né en 1825) le 3 avril 1850 à Gros-Chastang. Elle a 20 ans. Il a 24 ans. Le couple a un enfant Marie "Véronique" MURAT née en 1851 (qui décèdera en bas âge en 1860). Françoise dite Virginie POUZOL décède le 21 mai 1852 à Gros-Chastang à l'âge de 23 ans. Jusqu'ici nous avons affaire à des événements joyeux ou tristes mais rien de bien extraordinaire !!!

Son époux, Jacques MURAT, devenu veuf avec un enfant en bas âge, décide de se remarier avec la soeur cadette de sa première épouse Jeanne POUZOL née en 1834. Il se prépare donc à épouser sa belle-soeur. Une dispense d'alliance sera donc nécessaire. Le mariage sera célébré le 11 mars 1857 à Gros-Chastang.

Voici l'acte de mariage en question :

Acte de mariage entre Jacques MURAT et Jeanne POUZOL

le 11 mars 1857 à Gros-Chastang

 

Une dispense de prohibition a été demandée et accordée par sa majesté l'Empereur des Français le 31 janvier 1847 afin que Jacques MURAT épouse sa belle-soeur. Cette dispense a été établie à Paris au Palais des Tuileries, signée par Napoléon, le Garde des Sceaux ABBATUCCI (Jacques ABBATUCCI est né le 21/12/1791 en Corse et est décédé le 11/11/1857 à Paris. Il est garde des Sceaux du 22/01/1852 à son décès) et le Ministre de la Justice Ch. LIBERT. Elle fait référence à l'article 162 du Code Napoléon donc du Code civil (voir document dans la partie 1).

Oui, vous avez bien lu, la dispense est explicitement datée de 1847 !!!

Une erreur de date et donc de décennie est ici la seule possibilité car en 1847 l'Empereur Napoléon III n'est pas encore au pouvoir en France... Comme je l'ai écrit précédemment, Napoléon III était le Premier Président de la République française de 1848 à 1851 et Empereur des Français de fin 1852 à septembre 1870. la dispense de prohibition ne peut pas pas dater de 1847 mais bel et bien de 1857 !

Où trouver cette dispense de prohibition du 31 janvier 1857 établie à Paris au Palais des Tuileries, signée par Napoléon, le Garde des Sceaux ABATUCCI et le Ministre de la Justice Ch. LIBERT.

Au CARAN (Archives nationales) ? aux AD 75 Bd Serrurier à Paris ? Quelle côte ?

 

Je rajouterai à cette affaire que le mariage entre Jacques MURAT et Jeanne POUZOL du 11 mars 1857 a du être un peu précipité car la future épouse accouchera de leur unique enfant le 15 mars 1857 à Gros-Chastang. C'est un fils : Jacques Louis MURAT !!! Que Jacques MURAT en soit ou non le père biologique importe peu ici. Que Jacques MURAT ait épousé sa belle-soeur en état de grossesse avancée pour lui éviter la honte d' être fille-mère est une histoire courante dans notre canton de La Roche-Canillac du milieu du XIXème siècle. Pourquoi avoir attendu 2 mois entre la dispense de prohibition et le mariage alors que la grossesse de la future épouse avançait inexorablement ? Je sais que les communications n'étaient pas aussi rapides mais deux mois pour aller de Paris à Tulle !!!

Je conçois que les réponses à la plupart de ces étrangetés nous seront données par la lecture des documents manquants, les fameuses dispenses. Je fais donc appel aux passionnés de généalogie qui voudront bien m'aider à élucider ces étranges affaires de mariages et de dispenses et surtout aux bénévoles des AD 19 et 75 et/ou du CARAN pour m'aider à me procurer ces documents...

La recherche généalogique est toujours très passionnante mais rarement simple.

 

Corinne Durand, Version du 28 juin 2005

 


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Corinne Durand

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