Marie-Philiberte GOYARD (1894-1967), le destin hors du commun d'une jeune marinière de l'Aube
Version du 01/12/2003

Chapitres 5 et 6

 

 

5. Marie-Philiberte GOYARD épouse Jules BILLOT (1923).


Le Samedi 24 février 1923 à 16h15, Marie-Philiberte épouse en " premières " noces à Champagne-sur-Seine en Seine-et-Marne (77) Jules BILLOT, l'enfant légitime de feu Claude Gilbert Hippolyte BILLOT et de Françoise BOURDEAU, sa veuve. Marie-Philiberte GOYARD est âgée de 28 ans lors de ce mariage. Il a 25 ans. Surnommé " L'Ours ", peut-être en raison de son caractère renfrogné, il est né le 22 août 1897 au Creusot en Saône-et-Loire (71) où demeure encore sa mère. Il est domicilié à Argenteuil où il exerce la profession d'électricien. Marie-Philiberte GOYARD demeure à Champagne-sur-Seine (77) aux Basses Godernes, quartier très populaire principalement constitué de bidonvilles, situé près de la Seine. Elle y exerce la profession de manouvrière.
Lors de la célébration de leur mariage, le couple légitime, par deux actes distincts de l'acte de mariage, les deux enfants aînés de Marie-Philiberte :
- Henriette GOYARD née le 24 octobre 1910 qui devient ainsi Henriette BILLOT ;
- Albert Fernand GOYARD né le 29 décembre 1914 qui est alors nommé Albert Fernand BILLOT.
Dans cette légitimation, le dernier né de Marie-Philiberte GOYARD, Pierre François DAGOIS, n'est pas mentionné ni légitimé. Il a déjà un père déclaré, Léon DAGOIS.
Sont témoins à ce mariage et à la légitimation des deux enfants :
Louis VENEZIANI, garçon de café, demeurant au 24, rue de la Liberté à Argenteuil (95), certainement le témoin de l'époux, ami ou parent (lien non précisé).
Jules FURNON, tourneur, demeurant à Champagne-sur-Seine (77), adresse non précisée, certainement témoin de l'épouse (ami ou parent ?).

Il semblerait d'après le texte suivant que la rue des Basses Godernes où demeurerait Marie-Philiberte avec ses deux enfants en 1923 soit une rue, proche de l'usine à gaz, destinée à une population pauvre et aux étrangers. Elle est constituée de baraquements. S'il s'agit d'un quartier, le bois des Basses Godernes est situé le long des boucles de la Seine.
Pour ce qui concerne les étrangers, il est manifeste que leur entrée dans la morphologie urbaine se fait par le vieux bourg. Ils n'accèdent de façon significative au parc patronal qu'après la Première Guerre, en même temps qu'ils ont naturellement tendance à se diffuser sur tout le territoire communal, comme les autres habitants. En revanche, la gestion patronale tend à les cantonner tout d'abord dans des logements qui leurs sont spécifiquement destinés avant de les laisser-accéder au mêmes fragments du parc locatif que leurs homologues français. Ils seront par exemple regroupés dans l'hôtel du 12, rue des Ecoles, au 11, rue de la Mairie (qui ne compte que des chambres jusque dans les années 30, avant qu'elles ne soient transformées en appartements), dans une sorte de dortoir sis rue du Pas-Rond, construit manifestement pour les accueillir, et dans des baraquements près de l'usine à gaz de la rue des Basses Godernes. On peut légitimement penser que le sort qui leur est dévolu au départ dépend plus du fait qu'ils sont célibataires que de leur origine puisque leur diffusion sur le territoire communal accompagne une pérennité de l'emploi qui se solde souvent par une naturalisation et des mariages avec des autochtones, il n'empêche qu'une ségrégation de fait s'opère par la nature même du parc immobilier. A privilégier le logement de familles canoniques et à ne donner accès aux logements les plus vastes aux employés ou par la suite aux familles ouvrières qui ont un nombre élevé d'enfants, on relègue automatiquement les êtres quelque peu atypiques aux marges de l'espace urbain. (FREY J.P., Société et urbanistique patronale, tome 4: Parc immobilité et mobilité, Champagne-sur-Seine, 1903-1930, Paris, MULT-Plan urbain/MAIL, 1989, 189 p.)

Champagne-sur-Seine est à l'époque une commune ouvrière directement liée au Creusot en Saône-et-Loire par l'usine électrique SCHNEIDER qui, dès 1903, grâce à la construction de la ligne de chemin de fer Corbeil-Montereau (inaugurée en 1897) accueille les tous premiers électriciens et les loge dans de vastes parcs de logements patronaux spécialement construits pour eux (plan DELAIRE). La commune a même été surnommée " La Cité des Creusotins ". En 1906, les Creusotins représentent 37 % de la population de la commune et seulement 8 % en 1931 où l'origine des ouvriers se diversifie. La commune de Champagne compte, en 1931, 235 personnes considérées comme creusotines. Il ne s'agit bien évidemment qu'en partie des mêmes personnes qu'en 1906, certaines étant décédées et de nouveaux arrivages étant intervenus entre temps. Jules BILLOT est un de ses électriciens originaires du Creusot. Un rapide sondage dans les divers listes nominatives du département de Seine-et-Marne atteste du fait que la main d'œuvre de l'Usine ne cesse de sortir de Champagne pour se loger, en général via l'accession à la propriété, dans les communes avoisinantes.

Entre 1926 (elle était vivante au mariage de sa fille en 1923 et on la retrouve dans le recensement de population de Migennes dans l'Yonne en 1926) et 1953, Louise Jeanne PASQUIER, la mère de Marie-Philiberte GOYARD meurt, âgée de 60 à 90 ans. Marie-Philiberte a entre 28 et 54 ans.
Louise Jeanne PASQUIER n'est pas décédée à Juvancourt, ni à Troyes ni à La Ville-sous-Laferté ni à Rennepont ni à Longchamp-sur-Aujon où son acte de décès a été demandé.
En 1921, elle consent au mariage de Marie-Philiberte par un acte dressé chez un notaire … peut-être de Migennes (89); l'acte est illisible. Le 24 février 1923, elle se déclare veuve et habitant à "La Roche", sans précision de département. Nous avons cependant tenté notre chance en 2003 auprès des AD de l'Yonne afin de consulter les recensements de population de Laroche-Saint-Cydroine et de Migennes entre 1921 et 1931. Euréka ! Jeanne PASQUIER habite rue Paul Bert à Migennes en 1926 dans le quartier du Canal. Elle vit avec un nouveau conjoint Philibert SIMONET, charretier de rivière à la Compagnie de navigation Le Havre-Paris-Lyon-Marseille (CHPLM) et originaire de Chanes en Saône-et-Loire (71). Nous avons demandé l'acte de décès de Jeanne Louise PASQUIER aux mairies de Laroche-St-Cydroine et de Migennes mais ils ne l'ont pas trouvé.
Comme nous ne sommes pas parvenus à trouver la date exacte et le lieu du décès, nous ne savons donc pas si Marie-Philiberte était présente lors du décès de sa mère.

Le couple GOYARD/BILLOT vit durant sept années ensemble, certainement à Champagne-sur-Seine (77). Nous pourrions rechercher leur présence sur le recensement de population de 1926 pour le confirmer mais, selon J.P. FREY, un chercheur ayant mené une étude urbaine sur Champagne-sur-Seine, il n'existe aucune liste nominative aux Archives départementales de Seine-et-Marne pour 1926 à Champagne-sur-Seine.
Ne s'entendant plus, les conjoints finissent par demander le divorce. Celui-ci est prononcé le 26 février 1930 par le Tribunal civil de Melun (77). Comme ce divorce est prononcé en Seine-et-Marne, les deux conjoints devaient toujours demeurer dans ce département en 1930.
Nous ne savons pas ce que devient Jules BILLOT après son divorce ni s'il a continué de fréquenter les deux enfants qu'il avait légitimé lors de son mariage et qu'il a élevé durant sept années, Henriette de l'âge de 13 à 20 ans, Albert de l'âge de 8 à 15 ans.

Vers 1928-1930, Henriette BILLOT, la fille aînée de Marie-Philiberte GOYARD, se marie avec Edmond MOINEAUT (date et lieu de mariage non connus). Le 14 mai 1930 à Saint-Mammès (77), naît la première petite-fille de Marie-Philiberte GOYARD, Lysiane MOINEAUT. Henriette BILLOT, la jeune maman, a juste 20 ans. Marie-Philiberte n'a que 35 ans et elle est pourtant déjà grand-mère.


6. Marie-Philiberte GOYARD épouse Ernest Alexandre MOINEAUT (1931).

Le 17 janvier 1931, Marie-Philiberte GOYARD épouse, en secondes noces, Ernest Alexandre MOINEAULT, à Champagne-sur-Seine (77). Elle est alors âgée de 41 ans. Il a 47 ans. Ernest Alexandre MOINEAULT est né le 13 décembre 1886 à La Charité-sur-Loire dans la Nièvre (58), fils de MOINEAULT Guillaume et de Françoise GENTY. Il est veuf ou divorcé de Clémence Lucie MASSARD dont nous ne savons rien. En 1931, il exerce la profession de maître meunier aux Grands Moulins de Corbeil (91) où il fera embaucher son beau-fils, Pierre François DAGOIS, en 1940 à la fin du service militaire. Ce couple n'a pas eu d'enfant.

Vers 1936-1939, Pierre François DAGOIS, effectuant son service national chez les Marins-Pompiers à Brest, entreprend de rechercher sa mère, Marie Philiberte GOYARD, grâce à la " Police de recherche dans l'intérêt des familles ". Il retrouve tout d'abord sa sœur Henriette BILLOT, puis, grâce à cette sœur, sa mère. Il est âgé de 20 ans. Elle a 42 ans. De ces retrouvailles entre la mère et le fils, nous ne savons rien. Marie-Philiberte ne racontera jamais à son fils sa prime-enfance et ne lui parlera jamais de son père. Il faut dire qu'à l'époque, on ne posait pas autant de questions que maintenant…
Par le biais de ces retrouvailles, Pierre François DAGOIS retrouve aussi son frère, Albert Fernand BILLOT vivant vers Châlon-sur-Saône (71) mais il ne tissera pas de liens fraternels avec lui. Bien au contraire, leurs relations seront toujours assez tendues. Ses liens avec sa sœur Henriette BILLOT seront plus amicaux et ils continueront toujours de se fréquenter.

Le 25 février 1941, Marie-Philiberte GOYARD accompagnée de son époux, Ernest Alexandre MOINEAUT, assiste au mariage de son fils, Pierre François DAGOIS, à Milly-la-Forêt (91, Essonne) avec Blanche Cécile Louise DESCOMBES. Elle pose avec le reste de la famille de l'épouse sur la photographie officielle du mariage.

Le 14 avril 1947, Marie-Philiberte GOYARD perd son époux, Ernest Alexandre MOINEAULT, âgé de 63 ans. Elle a 53 ans. Ernest Alexandre MOINEAULT est décédé sur Corbeil-Essonnes où il demeurait avec son épouse au 13 rue des Caillettes. Il exerçait alors la profession de contre-maître meunier aux Grands Moulins de Corbeil.

Entre 1936 environ et le 30 avril 1967, Marie-Philiberte GOYARD demeure à Corbeil-Essonnes au 13, rue des Caillettes. Sa maison, décrite par Danielle Lydia DAGOIS, sa petite-fille, est un pavillon à 3 étages. Elle est composée d'un rez-de-chaussée contenant deux pièces, une chaufferie et un débarras, un premier étage abritant une cuisine (en entrant), une salle à manger (à gauche), une chambre (au fond), et un second étage avec un grand grenier de la même superficie auquel on accède par un escalier situé en face de la porte d'entrée. Le pavillon dispose d'un terrain attenant dont la pente est relativement importante. Au fond du jardin, se trouvent quelques clapiers. Une courette se situe devant le pavillon. La ligne SNCF passe juste devant la maison, parallèlement à la route. Marie-Philiberte possède également un autre terrain de l'autre côté de la route et de la voie ferrée dans le quartier du Vert-Galant.
Une étude des recensements de population des années 1936, 1941, 1946, 1951, 1956, 1961 et 1966 nous permettrait d'en savoir plus sur les occupants du 13, rue des Caillettes à Corbeil-Essonnes au fil du temps.

Avant 1950 (date indéterminée), Marie-Philiberte devient tapissière à Essonnes dans une usine textile (nom ?) qui confectionne des couvre-lits matelassés. Elle fabrique, entre autres, le superbe couvre-lit bordeaux matelassé qui a longtemps recouvert à Brie-Comte-Robert le lit de Blanche Cécile Louise DESCOMBES épouse DAGOIS.
De même, l'étude des recensements de population des années 1936, 1941, 1946, 1951, 1956, 1961 et 1966 nous permettrait d'en savoir plus sur les différents métiers occupés par Marie-Philiberte et sa famille.

Dès le 18ème siècle, les cités de Corbeil et d'Essonnes se tournent en effet vers les industries nouvelles : Oberkampf installe des filatures; Louis Robert y met au point sa machine à papier en continu; Aymé Stanislas Darblay, propriétaire des Grands Moulins de Corbeil, crée à Essonnes, les papeteries du même nom; Louis Simon Crété fonde une imprimerie (aujourd'hui Hélio-Corbeil); Paul Decauville allie son nom à celui du chemin de fer naissant, Paul Doittau à celui de la féculerie qui devient une usine de produits chimiques.
Essonnes, une cité ouvrière originale; Serge BIANCHI
On peut caractériser Essonnes comme une cité ouvrière, marquée par un paternalisme avancé et par" l'esprit de 1848". la cité compte plus de 35 000 habitants, au recensement de 1846. Elle comprend en 1845 près de 48% d'ouvriers, nombre supérieur à celui de sa voisine Corbeil, et plus du tiers des actifs travaille dans le textile. La grande majorité des femmes est employée dans la fabrique de Chantemerle alors que les hommes sont plus dispersés et mobiles, entre les ateliers et les différentes usines, filatures, papeteries, moulins. Comme à Corbeil, la question ouvrière est brûlante, depuis 1846, en raison de l'exceptionnelle croissance industrielle des cités mais aussi de la crise et de la disette qui les secouent à cette date. Le rôle des notables devient alors crucial, un industriel comme Feray paraît assez représentatif d'un certain paternalisme, qui se manifeste par ailleurs par l'existence d'une société de secours mutuel, l'importance de la bienfaisance et de l'aide des entrepreneurs pour le soulagement de l'indigence. Il importe de voir que les liens entre les notables et les ouvriers, sont réels et qu'ils se renforcent dans les premiers mois de l'année 1848 ; Pour simplifier on peut déceler à Essonne, des ferments d'agitation ouvrière sans que les liens avec les notables ne soient complètement rompus. D'une part des secours et des ateliers nationaux sont organisés jusqu'à l'épuisement des crédits, municipaux alloués à ces secteurs ". Des clubs républicains, à tendance bourgeoise et ouvrière sont créés dès mars 1848, sans lutte de classes apparente.
[…]Alors qu'à Corbeil, les ouvriers manifestent leur hostilité à Darblay, et certains sont mis à pied avant le 3 juin - Fermeture des ateliers pour ouvriers indigents.Le refus récent de la commune de rétablir les ateliers ayant pu jouer un rôle dans la poussée du mécontentement ouvrier- la municipalité d'Essonnes, dirigée par E. Feray, est probablement plus proche du mouvement ouvrier, elle se caractérise par un net ancrage républicain, une forte stabilité jointe à une ouverture certaine aux questions sociales.
Situées au confluent de la Seine et de l'Essonne, la ville royale de Corbeil et la cité ouvrière d'Essonnes, où habitait Marie-Philiberte, ont fusionné le 9 août 1951.


 


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Corinne Durand

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